La France était occupée par les allemands et Maurice Buckmaster, depuis Londres, était chargé des « opérations spéciales » sur le sol français. Son second, Francis Suttill avait organisé sur Le Mans un groupe de résistance « Satirist » avec un centre de résistance à Ancinnes (4 km de Moullins) dirigé par Octave Simon, qui avait pour radio Gilbert Norman.
Le 14 juin 1943 vers 23 heures, sur la zone de largage de la ferme de Pouplain (commune de Bour- le- Roi), les anglais parachutent 2 tonnes d’explosifs, de munitions, d’armes et un poste émetteur. Ce matériel est destiné à la résistance de Falaise.
Le 15 juin, Jean-Michel Cauchy et Leroy viennent récupérer 300 kg pour Falaise. Le reste est transporté à Livet-e n-Saosnois (2 km de Moullins) à l’aide d’une vachère prêtée par M. Drouin de Louvigny et d’un cheval appartenant à M. Larpent, maire de Livet. Le matériel est caché pour une part dans le terrain « La Garenne », bois de Vaubezon, et dans une grotte, chemin du « passe vite ». Vaubezon appartenait à Arthur de Montalembert, résistant mort Mauthausen en 1944.
Le 27 juin, M. Lottin, un résistant d’Ancinnes, récupère 3 caisses d’armes à Vaubezon et les enterre dans son jardin Le 2 juillet 1943, Cauchy et Leroy devaient venir récupérer le reste du matériel pour Falaise mais furent arrêtés par la Gestapo le 1er juillet. Le 9 juillet, la Gestapo vient arrêter les 3 résistants d’Ancinnes : Lottin, Drecq et Malo. Ils découvrent les 3 caisses d’armes chez Lottin qui sera arrêté, déporté et gazé en 1944 à Lublin. Drecq s’enfuit et se cache dans le clocher d’Ancinnes aidé par l’abbé Luçon, puis à l’aide de faux papier intègre la résistance de Mamers. André Malo se cache à la ferme « Le Gesmier » puis chez d’autres particuliers pour finalement entrer au groupe de résistance de Saint Lô et Mamers. Après la guerre, devenu épicier, il sera maire de son village.
Mais le reste du matériel n’a jamais été récupéré. En 1982, M. E. Thibault qui était maire de Saint-Rémy-du-Val en 1943, aujourd’hui décédé, vend à Philippe Favre le logis de Moullins. Ce dernier, en 2001, fait des fouilles dans les latrines du logis à l’est du bâtiment. Il y découvre 3 caisses de munitions datant de la guerre qui contenaient des balles incendiaires, des balles anti-char et des munitions au phosphore, ainsi que 2 fusils Mauser. Les démineurs de Caen sont alertés et font l’enlèvement. Philippe Favre trouve aussi dans le grenier du Logis un poste de radio de la dernière guerre, hélas, en pièces détachées.
On est tenté de faire le rapprochement entre le parachutage du 14 juin 1943 et les armes ainsi que le poste de radio retrouvés au logis de Moullins en 2001.
L’Air Commodore Ronald Ivelaw-Chapman est un haut responsable de l’armée de l’air anglaise. A ce titre, il participe à toutes les réunions préparatoires en vue du débarquement en Normandie. Chapman est dépositaire de tous les détails de l’opération «Overlord », le débarquement. Il est tenu à un secret total avec interdiction absolue de sortir du territoire.
Le 6 mai au matin, le pilote de Lancaster Max Shearer et son équipage attendent à la base d’Elsham Wolds un décollage prévu 12 heures plus tard. Il apprend alors que l’Air Commodore Ivelaw Chapman l’accompagnera à titre d’ « observateur ». Difficile de refuser, il est le commandant de la base. Notre Chapman prend un risque énorme en accompagnant les aviateurs et en risquant de se faire abattre sur le sol français où règne la Gestapo qui, si il était arrêté, avait les moyens de le faire parler. Il connait tout le déroulement du débarquement.
La cible à bombarder est l’immense dépôt de munition d’Aubigné Racan au sud du Mans, soit 164 hectares où les allemands ont entreposé quatre-vingt mille tonnes de munition dont les explosifs destinés aux V1 et aux V2 fabriqués pour anéantir l’Angleterre.
Le bombardement effectué vers 2h50 du matin par les 46 Lancasters est un succès. 277 tonnes de bombes ont été larguées. Les entrepôts en feu explosent. L’Air Commodore Ivelaw Chapman est ravi. Il a pu tout observer de la tourelle frontale de son Lancaster en compagnie du Flight Sergeant Joe Ford qu’il félicite.
Ils font demi-tour vers l’Angleterre, le ciel est clair, le moteur ronronne, ils vont bientôt pouvoir fêter cette victoire, c’est le grand bonheur. Ce qu’ils ne savent pas c’est que les 2 stations radar allemandes de Douvres-la-Délivrande et des Mées (3 km du logis de Moullins) ont repéré les Lancasters et ont fait décoller 7 Folk-Wulf 190 afin de les détruire.
Il est un peu plus de 3 heures lorsque l’Oberfeldwebel Hermann Virchow, tire sur Le Lancaster où était l’Air Commodore. Malgré un piqué en tire-bouchon effectué par le pilote Max Shearer, le Lancaster est touché et prend feu. L’Air Commodore et Joe Ford s’extraient de l’avion par une trappe du plancher et sautent dans la nuit sans pouvoir se diriger car dans la panique ils ne s’étaient attachés que par une suspente. L’Air Commodore pendant sa descente voit au loin son Lancaster s’écraser et jaillit une boule de feu.
L’Air Commodore atterrit non loin de Moullins près d’une route serpentant vers Saint-Rémy du Plain (l’ancien nom de St Rémy du Val). Il entreprend aussitôt d’enterrer son parachute malgré une luxation de l’épaule car à l’ouverture du parachute le choc n’a été encaissé que par une épaule. Il remplit sa gourde dans la Bienne et décide de se cacher dans un fourré pour dormir pensant que les allemands devaient le rechercher. En effet dans un demi-sommeil, il entend une patrouille passer et se rendort. On sent tout le flegme britannique.
Joe Ford dans sa descente en parachute a perdu ses bottes et s’est retrouvé au sommet d’un frêne de 30 mètres de haut. Il abandonne son parachute resté au sommet de l’arbre, enterre sa combinaison de vol et se dirige plein sud, en chaussettes pour gagner l’Espagne avec 2 cotes cassées. Ne retrouvant aucun compagnon, il cherche lui aussi un fourré pour prendre un peu de repos. Il est en lisière de la forêt de Perseigne près du taillis de Montalembert à Vaubezon.
Le Lancaster quand à lui s’est écrasé à proximité de Vezot sur « le chemin de la Croix aux Aniers ». Adolphe Lamoureux qui rentrait vers 3h du matin de Livet, où il y avait eu une réunion de réfractaires au STO, voit la boule de feu, assiste à l’explosion des munitions et découvre le corps d’un aviateur carbonisé. Mais il se cache car c’est un réfractaire. Puis deux patrouilles allemandes arrivent. Vers 8h, une trentaine de curieux de Saint-Remy sont là mais ils ne doivent pas approcher sous peine de mort. Les 6 aviateurs sont morts dont un qui agonisera quelques heures. Ils venaient d’Australie, de Nouvelle Zélande et d’Angleterre Les allemands ramassent les corps et les emmènent au Mans. Les autres restes seront recueillis pieusement par le curé de Saint Rémy et portés au cimetière du village.
Le 7 mai, Winston Churchill apprend la disparition de l’Air Commodore Chapman, il est atterré. Il donne l’ordre au MI 9, service chargé de récupérer les britanniques en territoire occupé, de retrouver Chapman mort ou vif. Il doit se faire aider par la résistance en France.
Il est 6h, Ernest Lelièvre, employé à la ferme du Pressoir qui jouxte celle de Vaubezon, découvre le parachute de Joe Ford dans l’arbre et le rapporte à M. Lunel son patron. Le bouche à oreille se répand dans Ancinnes et le gendarme local Weber vient pour faire son rapport aux autorités. 50 ans plus tard, le parachute est donné à Hervé de Valbray qui le conserve précieusement. Joe Ford est découvert par un jeune homme entrain de relever des pièges. Il l’emmène dans une maison bourgeoise de parisiens probablement à Livet chez M. et Mme Tondeur où il est réconforté. Il reprend son chemin vers la route Mamers-La Hutte. Dans la soirée, il entend le grondement des avions anglais venus bombarder l’usine Junker du Mans qui sera complètement détruite. Il ne se doute pas que le Commodore Chapman est vivant et qu’il poursuit une route légèrement différente de la sienne.
Le 8 mai, alors que Winston Churchill est blanc de colère, notre Air Commodore Chapman dort comme Joe Ford dans un fourré près de la ferme de Beauséjour à proximité de Verzé et de Moullins. Les instructions sont de se cacher le jour et de marcher la nuit. Le 9 au matin, il va tranquillement se raser et se laver dans le ruisseau de Becherel lorsqu’il est découvert par le petit Lucien, domestique chez M. Breyton de la ferme de « Beauséjour ». Celui-ci avertit M. Thibault du logis de Moullins qui va voir Chapmann pour déterminer s’il s’agit bien de l’aviateur qui s’est écrasé dans la nuit du 7. Convaincus, Chapman est dirigé vers un corps de ferme abandonné où il devra attendre minuit que deux hommes viennent le chercher. Vers minuit, ils l’amènent se restaurer à la ferme de « Beauséjour » où il finira la nuit.
Joe Ford, lui, continue de cheminer en chaussettes et arrive dans l’église de Maresché où il est accueilli au presbytère par Mme Jamin qui le réconforte avec tout son instinct maternel. Par précaution on le cache dans le grenier où il restera quelques jours et Mme Jamin essaie d’entrer en contact avec la résistance. Un homme qui se fait appeler « capitaine Joseph » et se prétendant de la résistance le conduit le 10 mai à la ferme de la Bussonnière puis se dirige vers la préfecture du Mans pour signaler sa présence aux autorités. Heureusement il est retenu par André Champion, instituteur à Montbizot, qui prend les choses en main. La guerre terminée, « le capitaine » sera jugé et fusillé. Joe Ford est rapidement exfiltré de cette maudite ferme et se retrouve chez les Patard du village de René.
Le 11 mai, André Champion, notre instituteur, avertit de la présence d’un aviateur anglais à la ferme Beauséjour à Saint-Remy du Val, identifie l’Air Commodore Chapman et avertit le MI 9 que le Commodore est vivant et entre les mains de la résistance française. Il prévient aussi Chapman que Joe Ford est sous sa protection et qu’il va essayer de les faire se rencontrer.
Après un voyage épique en train de la Hutte à Brain sur Allonnes près de Saumur nos deux hommes attendent un Lysander, petit avion qui devrait les ramener en Angleterre. Mais le Commodore se fait prendre par la Gestapo réussit à se faire passer pour un officier « normal » de la Raf et se retrouve prisonnier des allemands à Chartres le 15 juin. Avant d’être transféré en Allemagne pour être soigné de son épaule gravement endommagée lors de son parachutage près de Moullins.
Joe Ford lui réussit à s’échapper des mains de la Gestapo et au courant du débarquement essaye de rejoindre le front vers Bayeux. Mais il doit attendre à Parçay les Pins le 11 aout 1944 pour être libéré par les américains.
L’épaule de l’Air Commodore Chapman est opérée par un chirurgien allemand. Il se remet et sera délivré par la 45eme division d’infanterie américaine près de Nuremberg en mars 1945. De retour en Angleterre il sera nommé Air Vice Marshal, sans rancune.
La division Leclerc libèrera St Rémy du Plain le 11 aout 1944 vers 16h, après un intense bombardement de l’aviation alliée. Pendant la bataille 2 Panzers seront touchés, plusieurs maisons détruites et 77 personnes sinistrées.
A partir de 1946 et jusqu'en 1948,
des prisonniers de guerre allemands sont répartis dans les fermes de Saint Rémy du Val. Loin de leur pays, parfois maltraités,
pour eux les souffrances continuent. Deux d'entre eux, Herbert Buchwald et Alwin Wais sont placés à Moullins. Pour eux, c'est une chance,le fermier
monsieur Thibault s'est montré "d'une grande politesse" avec ses prisonniers, il leur a donné des conditions de vie décente.
Dans la pièce qui leur a été affectée, les prisonniers ont installé une sorte de bar près de la cheminée.
Herbert qui a un beau coup de pinceau a peint sur les murs des tableaux érotiques qu' l'on peut toujours observer.
En 1996, le journaliste Jean Léo Dugast est parti à leur recherche en Allemagne.
Dès le 3 septembre 1939 avant même la déclaration de guerre les musés quittent Paris pour mettre à l’abri les chefs d’œuvre. Les autorités pensent que
la Normandie sera suffisamment éloignée de la ligne de front.
Le château de Louvigny (2 km de Moullins) habité à l’époque par M. et Mme Guy de Cosnac est réquisitionné. Le 14 novembre 1939 une caisse contenant
la Joconde arrive. Elle est entreposée dans l’orangerie. Munie de 3 pastilles rouges, cela voulait dire qu’elle était la priorité des priorités.
Elle en repartira le 3 juin 1940 pour Chambord puis Loc-Dieu, Montauban et le château de Montal dans le Lot.